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Pauvre jeunesse (1) : « Le monde qu’on leur propose n’est pas terrible ».

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Il y a tout ce à quoi Vincent Battiau, chômeur tout juste majeur, s’est déjà résigné. Ne pas "manger équilibré comme tout le monde". Ne plus fréquenter le coiffeur. Ni le médecin, tout en rassurant sa mère, "ça va passer". Rester à la maison plutôt que de s’offrir le plaisir d’un ciné de copains. Ne plus chercher du travail qu’alentour faute de carte de transport.

Vincent Battiau, 18 ans, dans le hall de la Mission locale d'insertion de Sénart. (Photo : Capucine Granier-Deferre pour Le Monde)

A la Mission locale d’insertion de Sénart (Seine-et-Marne), dans un bâtiment cubique de zone industrielle, le jeune homme à la chevelure trop longue apprend "ce qu’on devrait apprendre à l’école". Techniques de recherche de travail. Et ce matin, présentation des emplois d’avenir. "100.000 à venir… Plein-temps payé au smic… Tuteur… Formation…" Vincent et trois compagnons de chômage prennent note en retrouvant les feuilles à grands carreaux et les postures d’ennui du lycée.

Public cible de ces emplois : les 16-25 ans sans qualification. Tout le portrait statistique de Vincent. Qui a raté en juin son bac technologique filière électrotechnique. "J’avais des notes pas si mauvaises en troisième, on m’a quand même foutu dans un truc avec des maths et des sciences pour remplir la filière. Ça ne m’intéressait pas. Ça n’intéressait personne dans la classe. Sans ça, le bac, je l’aurais eu. La filière a été supprimée. Ils m’avaient promis qu’ils se débrouilleraient pour me reprendre mais en fait, ils m’ont fichu à la rue. Je me sens exclu." Un exclu du redoublement qui tente de "se démerder". Ramassage de patates, cet été. Puis plus rien. "J’ai cherché un peu tout ce qui pouvait tomber sous la main." Rien n’est tombé.

(Photo : Capucine Granier-Deferre pour Le Monde)

La présentation des emplois d’avenir ne déclenche pas davantage l’enthousiasme chez lui que chez les autres. Tous feuillettent la brochure "Sans diplôme tu ne trouveras jamais de boulot", avec le mot "jamais" biffé. Deux sur quatre, dotés d’un BTS ou d’un bac professionnel, réalisent qu’ils n’y ont pas droit. Trop formés. Et puis "emplois d’avenir", cela ne leur évoque pas que du bon… "En éco, on a appris que chaque gouvernement teste un nouveau truc", sait Alexis Bernod, 20 ans, qui a pâti d’avoir décroché son BTS protection de la nature au rattrapage : plus aucune place en IUT pour une licence professionnelle. Depuis, c’est chômage comme papa, également bac +2.

La formatrice positive. Elle-même a bien été emploi-jeune… "Et le dispositif est sans doute pensé pour pas répéter les erreurs." Vincent doute. "Quels postes ça va être ? Et avec la crise, ils vont le trouver où, l’argent ?" Pour l’instant, mairies et associations locales offrent six emplois, sur les 110 que la Mission est censée leur arracher. "Les collectivités locales, les associations n’ont plus l’argent pour financer ne serait-ce que la petite partie du salaire qui n’est pas prise en charge par l’Etat… Par ailleurs, est-ce que cela correspondra aux attentes des jeunes ?", s’interroge le directeur de la Mission locale, Didier Dugast, qui ne voit pas là l’avenir de l’emploi.

Didier Dugast, le directeur de la Mission locale, en compagnie d'Alexis Bernod et Vincent Battiau. (Photo : Capucine Granier-Deferre pour Le Monde)

La démarche initiée dans cette Mission qui fête ses 20 ans est même diamétralement opposée. Ecouter les jeunes "quand l’école les a sélectionnés sur leur capacité à avoir 15 en maths mais ne leur a jamais demandé leur avis". Les doter des outils nécessaires à la construction autonome d’un projet personnel et professionnel. Faisant fi des scepticismes, Didier Dugast a développé un nouveau mode d’accompagnement par la création d’entreprise. A Sénart, désormais, c’est du rêve exprimé par le jeune que l’on part pour le pousser à s’imaginer un futur et produire des efforts qui aient un sens. Un diplôme d’université développé avec l’IUT de Sénart valorise ce parcours qui, même si là n’est pas vraiment le but, aboutit dans trois cas sur dix à une création d’entreprise – rénovation de façades en rappel, récupération par plongeur de balles de golf dans les pièces d’eau…

Incités à réfléchir à leur insertion professionnelle, ces décrocheurs ont rédigé un manifeste proposant des actions concrètes et sensées. Ils participent à un tout nouveau conseil des jeunes, qui intégrera le conseil d’administration de la Mission. "Le monde qu’on leur propose n’est pas terrible, ils ont intérêt à apprendre à construire le leur, conclut Didier Dugast. Pas de boulot ni de logement, un accès de plus en plus compliqué à la santé, au point que nous avons dû installer en notre sein des consultations de généraliste et de psychologue qui ne désemplissent pas…"

En 2011, 22.000 jeunes sont venus ici chercher un avenir. Chiffre chaque année en croissance de 10% depuis trois ans. Les demandes exceptionnelles d’aide (Fonds départemental d’aide aux jeunes, chèques de mobilité…) excèdent largement les possibilités. Vincent, lui, ne sollicitera bientôt plus la Mission pour payer chaque jour une baguette à sa mère. Il a compris qu’accepter un job dans la logistique lui donnerait les moyens de se former au métier de graphiste. Il n’est plus un "cas sos’de STI", il a une stratégie.

 


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